THEURIET , André (1833-1907) : Le plat d'oronges Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (28.IV.2000) http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Texte établi sur un exemplaire (coll. part.) de l'édition Charpentier , Paris 1888, des dans la Le plat d'oronges par André Theuriet I Après avoir chassé toute l'après-midi avec Jacobus dans les brandes de Sainte-Julitte, en Poitou, nous rentrions à Étableaux. Comme j'étais revenu bredouille, je trouvai des oronges dans la châtaigneraie du Châtellier et j'en remplis mon carnier vide. «Es-tu sûr, au moins, de tes champignons ? me demanda soupçonneux Jacobus. - Parfaitement. - C'est qu'il court dans ce pays-ci, à propos d'oronges, une histoire tragique qui me rend singulièrement méfiant à l'endroit de ces cryptogames. Tu as connu Mme de Savigné ? - Celle qu'on appelait la Belle Corysande , parce qu'elle ressemblait à la maîtresse de Henri IV ?... Oui, je me souviens de l'avoir rencontrée souvent dans le monde, aux environs de 1878... Une châtaine grassouillette, blanche et rose, avec de grands yeux étonnés, une poitrine adorable et de royales épaules qu'elle décolletait tant qu'elle pouvait. Elle a été la reine des bals officiels pendant un an ou deux. On ne parlait que de la «belle Mme de Savigné». Puis, tout à coup, on ne l'a plus vue nulle part, et quelqu'un m'a conté qu'elle était morte subitement d'un transport au cerveau. - C'est le bruit qui a couru, en effet, mais ici on explique autrement cette mort soudaine... Te souviens-tu de Savigné ? Bien moins probablement que de sa femme. C'était un Poitevin court, trapu, à la carrure robuste, au visage maussade, l'air chabrun, avec des yeux jaunâtres dont les sourcils noirs se rejoignaient, un front étroit auquel des cheveux épais et coupés court faisaient comme une calotte d'un noir terne. Dans les bals, on le trouvait toujours campé dans une embrasure de porte, la mine renfrognée, se haussant sur ses pieds pour apercevoir et surveiller sa femme, dont il était ridiculement jaloux. Lorsque le cotillon se prolongeait trop longtemps, il arrachait presque brutalement la | |
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