ZOLA , Emile (1840-1902) : Lettre à la France , (Paris : E. Fasquelle, 1898) Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (04.02.1998) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Bibliothèque municipale, B.P. 7216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.66.50.- Minitel : 02.31.48.66.55 E-mail : bmlisieux@mail.cpod.fr, [Olivier Bogros] bib_lisieux@compuserve.com http://ourworld.compuserve.com/homepages/bib_lisieux/ Texte établi d'après l'édition Charpentier, Paris 1901, de La vérité en marche , pp. 55-70. Diffusion libre et gratuite (freeware) Lettre à la France par Emile Zola Dans les affreux jours de trouble moral que nous traversons, au moment où la conscience publique paraît s'obscurcir, c'est à toi que je m'adresse, France, à la nation, à la patrie ! Chaque matin, en lisant dans les journaux ce que tu sembles penser de cette lamentable affaire Dreyfus, ma stupeur grandit, ma raison se révolte davantage. Eh quoi ? France, c'est toi qui en es là, à te faire une conviction des plus évidents mensonges, à te mettre contre quelques honnêtes gens avec la tourbe des malfaiteurs, à t'affoler sous l'imbécile prétexte que l'on insulte ton armée et que l'on complote de te vendre à l'ennemi, lorsque le désir des plus sages, des plus loyaux de tes enfants, est au contraire que tu restes, aux yeux de l'Europe attentive, la nation d'honneur, la nation d'humanité, de vérité et de justice ? Et c'est vrai, la grande masse en est là, surtout la masse des petits et des humbles, le peuple des villes, presque toute la province et toutes les campagnes, cette majorité considérable de ceux qui acceptent l'opinion des journaux ou des voisins, qui n'ont le moyen ni de se documenter, ni de réfléchir. Que s'est-il donc passé, comment ton peuple, France, ton peuple de bon coeur et de bon sens, a-t-il pu en venir à cette férocité de la peur, à ces ténèbres de l'intolérance ? On lui dit qu'il y a, dans la pire des tortures, un homme peut-être innocent, on a des preuves matérielles et morales que la revision du procès s'impose, et voilà ton peuple qui refuse violemment la lumière, qui se range derrière les sectaires et les bandits, derrière les gens dont l'intérêt est de laisser en terre le cadavre, lui qui, naguère encore, aurait démoli de nouveau la Bastille, pour en tirer un prisonnier ! | |
|